(My Way, Frank Sinatra)
J’ai toujours eu un problème avec le chant. J’adore cela, mais je n’ose pas. Je danse depuis que je marche. J’écoute de la musique toute la journée. J’écris, je vis en musique. J’aime parler, oui j’aime cette chaude voix, sensuelle, qui vient du fond de moi, qui vient du ventre. Mais chanter, j’ai du mal, j’ose pas. C’est un risque que je redoute de prendre.
Je prends des cours particuliers de chant depuis près de six ans maintenant, et je tourne toujours autour d’elle, de cette voix chantée.
Je n’en suis même pas au stade du karaoké. Il me faut toujours chanter par-dessus la voix du chanteur. Comment dire ? Sa voix, ce sont les petites roues lorsqu’on apprend à faire du vélo. Et moi j’ose pas les retirer. J’ai peur de découvrir que j’en suis vraiment un, de chanteur. J’aurais trop peur de devoir me confronter au public, de la scène. Du succès, je n’en veux pas. Alors je me fais enfant peureux. Je deviens tout petit, discret. A moins que je sois égoïste, j’aime chanter dans ma tête, seulement pour moi !
Tous les mardis, lorsque je me rapproche du lieu du cours, une grande excitation, une joie enfantine me vient. Elle se présente à moi, me prend la main, nous marchons ensemble dans les rues de Paris, du côté de la porte Saint Denis. Oui, nous y allons ensemble, à ce cours, la joie et moi. Mais en même temps, j’attache, bien trop fort, la ceinture de sécurité. Je sens comme une pression, quelque chose qui se serre, quelque chose qui se ferme, se resserre au bas de la gorge, et dans le buste, de gauche à droite. Du cœur, de l’énergie, de l’envie, du vouloir, tout y est, tout est là, tout est prêt, mais moi, je ne veux pas.
Alors ce mardi-là, Catherine la malicieuse, me propose ce défi : Chanter plus fort que Sinatra !
Il se passe quelque chose d’étrange ce jour-là, un problème de micro, de câble. Changement de câble et d’un coup j’entends une nouvelle voix, un nouveau son, j’entends la limpidité.
J’enclenche My Way et monte le son au trois quart, ce son puissant qui sort des deux grosses enceintes disposées de chaque côté de l’espace figurant la scène. Cela me semble beaucoup trop fort, pour Catherine, pas assez.
Il se passe quelque chose d’étrange, d’inédit quand je chante sur la voix de Sinatra. J’ai l’impression qu’il est là, à côté de moi, que nous chantons en duo. Je ne vous fais pas le coup du mystique, je vous décris juste mon ressenti physique de cette séance de voix-là.
Je le sens paternel et amical. A vrai dire, je l’entends me dire : Ok gars maintenant on y va ! On va le faire.
Et du coup, j’enclenche My Way avec le volume presqu’au maximum, et je chante. Les mots anglais, je leur fais l’amour. J’ai l’impression de m’envoler ou plutôt de grandir, de grandir, de grandir ! Grandir, ce n’est pas la même chose que de s’envoler. Grandir, c’est voir les choses de plus haut, les pieds ancrés en terre.
Quand je chante cette chanson-là, je ne suis pas seul. Il y a Frank, certes, mais il y aussi les instruments, c’est une équipe : La basse, les cordes c’est un peu confus au départ. A regrets les violons arrivent, le cœur s’ouvre, un bain de chaleur m’envahit, je grandis, me stabilise, m’ancre, c’est le départ, proche de l’envoi.
A Yes, there were times, ça y est c’est l’envol, c’est l’envoi. Quelle ivresse, quelle force, c’est puissant.
I’ve loved, I’ve laughed and cried, je me sens comme après l’amour, détendu, serein. Je me sens uni et doux. Ce que j’aime dans ce passage, c’est l’enchaînement. En une respiration on passe du puissant et définitif I did it my way au sensuel et discret I’ve loved. Puissance virile et tendresse féminine séparées d’un souffle, j’aime !
Le couplet suivant offre un moment d’extase, couplée d’une petite dose de fierté, une certaine émotion sur my share of losing… Quelle gourmandise ce so amusing, je ne les chante pas ces deux mots, je les souris.
To think, I do it all that, je défie le public : Catherine. Je lui dis, au public, voilà c’est ma vie et je suis fier de te la présenter.
Enfin, les cymbales et les cuivres nous accompagnent pour monter une dernière fois au combat, Franky et moi….C’est l’apothéose.
Mais il reste encore un « must » sucré, ce yes, it was my way final, à chanter caressé par les violons, la harpe et les cuivres. Ce yes, it was my way on le susurre au public, comme si, maintenant, il nous connaissait bien, plus besoin d’en rajouter.
Dans cette chanson, en compagnie de Frank Sinatra mais avec ma voix, plus forte que la sienne, j’engage tout mon corps et j’entends tout mon être. Oui, je mets tout de moi dans cette interprétation de my way où je chante plus fort que Frank Sinatra.
Alors merci Catherine, merci à toi, et comme le dit Fugain, tout a changé, déjà !
Christophe Marmorat
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